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Hisayasu Nakagawa, Mémoires d'un «moraliste passable». Le pied gauche et la vie droite d'un professeur japonais ISBN 978-2-84559-047-2, 2007, 240 x 160 mm, 172 pages, 4 illustrations, broché, prix €20 Acheter sur AmazonPeut-être le lecteur sera-t-il intrigué par l'expression «moraliste passable». Celle-ci étant empruntée à Diderot, il n'est assurément pas nécessaire de préciser que le point de vue du «moraliste» n'est pas ici celui d'un moralisateur, mais celui d'un praticien des études sur les mœurs. Quant à l'emploi de l'adjectif «passable», on en trouvera l'explication à la fin de cet avertissement. Je crains aussi que le récit des années d'adolescence et de jeunesse, dont le volume est le double de celui de l'autobiographie intellectuelle, ne lui semble un peu trop long. Cette période qui prépara mon essor intellectuel fut en effet beaucoup plus longue que celle où mes activités furent les plus intenses. C'est un peu comme pour la fabrication d'un bol par un artisan potier: avant que la terre prenne forme, il faut chercher le matériau de base, en prendre le meilleur, le mélanger autant de fois que nécessaire avec de l'eau pour qu'enfin commence le travail de création. Avant que le bol puisse servir à la cérémonie du thé, il s'est passé plus de temps en préparation qu'en travail de production à proprement parler. Il va sans dire que la période que j'ai laissée dans l'ombre, celle de l'enfance, a tout autant d'importance que la jeunesse et l'âge mûr, mais de peur d'allonger encore mon récit, j'ai évité d'en parler, à l'exception de quelques épisodes. Que le lecteur veuille me permettre cette omission. Il me faudrait de même expliquer pourquoi j'écris cette réflexion en français et non pas dans ma langue maternelle, le japonais. L'occasion m'en fut fournie par Sergueï Karp, mon collègue et ami russe, qui me demanda de collaborer à un recueil d'autobiographies intellectuelles rédigées par treize dix-huitiémistes de nationalités différentes. Ma contribution, «Trois autoportraits d'un dix-huitiémiste japonais», fut traduite en russe. Puis Sergueï Karp m'a conseillé d'augmenter cette petite contribution (écrite en français) pour former un récit plus complet. Le lecteur voit ainsi ce que la rédaction en français de mes mémoires doit au hasard. Cependant, au fur et à mesure que j'avançais, je commençai à discerner les avantages de cette contrainte. Par exemple, je me devais d'utiliser des termes «plus neutres et plus généraux» – dans la mesure où l'emploi d'une langue étrangère rend difficile l'utilisation d'expressions un peu trop connotées – mieux aptes à rendre compte de la distance avec laquelle je considérais mon parcours. C'est ainsi que ma première intention, plutôt passive, d'écrire en français, se transforma en ferme résolution. Ce n'est donc plus maintenant un choix imposé mais volontaire. J'ajouterai ici que c'est seulement après avoir rédigé ces «Trois autoportraits d'un dix-huitiémiste japonais» que je pus revenir à mes jeunes années, car il me semblait qu'elles seules pouvaient éclairer ma vocation de chercheur. Depuis le départ, mon champ de recherches embrasse le XVIIIe siècle français. Je dois avouer avec regret que je ne puis guère laisser d'ouvrage magistral qui demeurerait une grande référence en ce domaine. Mais, pour éviter toute fausse modestie, je peux dire néanmoins que mon édition comparée des deux versions de l'Essai sur Sénèque en deux volumes (1966-1968) fut un outil de travail indispensable à tous les spécialistes de Diderot de par le monde, du moins avant que le tome XXV contenant l'Essai sur les règnes de Claude et de Néron ne soit publié en 1986 dans les Œuvres complètes de Diderot. Comme je le montrerai ultérieurement dans ces pages, ma thèse sur Diderot était, à l'époque de sa publication, unique dans le monde du point de vue de l'approfondissement des analyses. Hélas, la publication était en japonais, ce qui en a limité la diffusion et l'influence hors du Japon. Cependant, si j'ai toutefois quelque chose à dire, c'est peut-être -parce que j'appartiens à la première génération de chercheurs japonais en sciences humaines à vouloir protester contre les travers du Japon. En effet, la plupart des spécialistes japonais sont uniquement préoccupés de se forger une réputation à l'intérieur du pays, dans un «marché fermé». Fiers et heureux d'être les clairons des maîtres à penser occidentaux, grands et petits, tout au plus se contentent-ils d'ajouter des remarques personnelles à leurs oracles. Il existe aussi un autre courant extrême, celui des chercheurs en philo-sophie, en histoire et en littérature qui proposent leur doxa sans aucun souci de vérification afin de faire valoir leur prétendue originalité. Originaux, certes ils le sont, mais seulement dans le sens où ils poussent la singularité jusqu'à se rendre ridicules auprès des vrais chercheurs, aussi peu nombreux soient-ils. Personne ne tiendrait compte de leurs opinions dans un forum international. Pour ma part, quoique très souvent étouffé et blessé, il me fallut pourtant marcher résolument contre ces vents souvent violents. Personne ne s'aperçut d'ailleurs du chemin inverse que j'empruntai, car jamais je ne criai ni ne m'agitai de façon tapageuse. Aimant à vivre modestement et dans l'incognito, je me range à l'avis de Diderot qui, à l'âge de soixante ans, écrivait: «On ne pense, on ne parle avec force que du fond de son tombeau: c'est là qu'il faut se placer, c'est de là qu'il faut s'adresser aux hommes». Cependant, ce récit passe sous silence une grande partie des témoignages que j'aurais voulu faire. Au Japon, dans la plupart des cas, la personne visée par l'accusation publique n'est pas celle qui a commis un acte honteux mais plutôt celle par qui le scandale est connu. Peu soucieux d'être la cible de l'«énorme bête» (c'est ainsi que Diderot dénommait le «peuple») et désirant au contraire poursuivre sereinement ma vie et mon travail, je suis résolu à continuer d'écrire jusqu'à un âge encore plus avancé des mémoires qui seront, pour dire comme l'abbé de Saint-Pierre, un «testament de mort [dans lequel je m'expliquerai] librement sur les ouvrages, les opinions, les hommes». Pour aujourd'hui, parvenu à l'âge de soixante-dix ans, et voyant beaucoup d'amis ou de collègues dispa-raître autour de moi, je me décide à publier ces mémoires dans l'état actuel, tronquées de leur troisième partie, qui verra le jour à titre posthume. Je rapporte dans cette première publication nombre de vérités intérieures que je n'avais jamais confiées à personne. Mais je continuerai d'en rédiger la suite, et c'est après ma mort que ces mémoires seront véritablement à la hauteur du nom qu'aujourd'hui je leur prête. Que je serais heureux si, avant de mourir, je pouvais dire comme le vieux Diderot: malgré la «médiocrité» dans tous les genres, «je me crois passable moraliste, parce que cette science ne suppose qu'un peu de justesse dans l'esprit, une âme bien faite, de fréquents soliloques et la sincérité la plus rigoureuse avec soi-même». Est-il nécessaire d'ajouter que, si Diderot fut un moraliste incomparable, contrairement à ses dires, il n'en est pas de même pour moi qui espère seulement mériter la mention «passable» au sens propre du terme? Enfin, qu'il me soit permis de remercier très chaleureusement Sergueï Karp, et les éditeurs Andrew Brown et Ulla Kölving, eux-mêmes dix-huitiémistes. Table des matières Première partie. Le temps de la jeunesse I. Dans le sillage de Kametani et de Kolbenheyer Autour de la fin de la guerre (15 août 1945): divers changements 4e année d'école secondaire (avril 1946 à mars 1947) 5e année d'école secondaire et 3e année d'école supérieure (avril 1947 à mars 1949) II. Tentation du grand saut Premiers contacts avec la réalité (automne 1949 à la fin de l'été 1951) De l'automne 1951 au début de 1952 De la rentrée d'avril 1952 à la fin de ma maîtrise (avril 1952 à mars 1956) III. Préparatifs de départ à la vie et à la recherche Trois lectures (avril 1956 à mars 1958) Classe préparatoire pour les boursiers du gouvernement français (avril à automne 1957) Avant le départ (fin 1957 à automne 1958) Deuxième partie. Trois autoportraits I. Longues années d'apprentissage Séminaire de Jean Fabre (de l'automne 1958 au début de 1961) Essai de Diderot sur Sénèque (du printemps 1961 au début de 1979) Vers une communauté internationale (du printemps 1973 à l'automne 1984) II. Moment de grâce Une expérience théâtrale à Paris (automne 1984) Lecture à «double lumière» (de l'automne 1984 à l'été 1994) Le temps de la maturité: divers colloques internationaux (de l'été 1982 au printemps 1991) III. Prise de conscience d'une vocation Mes propres approches et portée de ma méthode (de l'automne 1992 au printemps 1998) Études comparées et nouveaux débuts professionnels (de l'été 1992 au début 1999) Participation à diverses réunions savantes (de l'automne 1992 au début de 2001) Quelques mots d'accompagnement Appendice
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