ISSN 2271-1813 ... |
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Voltaire, Le Siècle de Louis XIV, l'édition de 1751
[p. 318] CHAPITRE TRENTE-CINQUIÉME. Disputes sur les cérémonies chinoises. Ce n'était pas assez pour l'inquiétude de notre esprit, que nous disputassions au bout de dix-sept-cent ans sur des points de notre religion; il falut encor que celle des chinois entrât dans nos querelles. cette dispute ne produisit pas de grands mouvemens; mais elle caractérisa plus qu'aucune autre, cet esprit actif, contentieux & querelleur qui régne dans nos climats. [p. 319] Le jésuite matthieu ricci, sur la fin du dix-septiéme siécle, avait été un des premiers missionnaires de la chine. les chinois étaient & sont encor en philosophie & en littérature à-peu-près ce que nous étions il y a deux-cent ans. le respect pour leurs anciens maîtres leur préscrit des bornes qu'ils n'osent passer. le progrès dans les sciences est l'ouvrage de la hardiesse de l'esprit & du tems. mais la morale & la police étant plus aisées à comprendre que les sciences, & s'étant perfectionnées chez eux quand les autres arts ne l'étaient pas encore; il est arrivé que les chinois, demeurés depuis plus de deux-mille ans à tous les termes où ils étaient parvenus, sont restés médiocres dans les sciences & le premier peuple de la terre dans la morale & dans la police, comme le plus ancien. Après ricci, beaucoup d'autres jésuites pénétrérent dans ce vaste empire; & à la faveur des sciences de l'europe, ils parvinrent à jetter secrettement quelques semences de la religion chrétienne, parmi les enfans du peuple, qu'ils instruisirent comme ils purent. des dominicains, qui partageaient la mission, accusérent les jésuites de permettre l'idolâtrie en préchant le christianisme. la question était délicate, ainsi que la conduite qu'il falait tenir à la chine. [p. 320] Les loix & la tranquilité de ce grand empire sont fondées sur le droit le plus naturel ensemble & le plus sacré, le respect des enfans pour les péres. à ce respect ils joignent celui qu'ils doivent à leurs premiers maîtres de morale & surtout à con-fu-tze nommé par nous confucius, ancien sage, qui cinq-cent ans avant la fondation du christianisme, leur enseigna la vertu. Les familles s'assemblent en particulier à certains jours, pour honorer leurs ancêtres; les lettrés en public, pour honorer con-fu-tzé. on se prosterne, suivant leur maniére de saluer les supérieurs, ce qui dans toute l'asie s'appelait autrefois adorer. on brûle des bougies & des pastilles. des colao, que les espagnols ont nommés mandarins, égorgent deux fois l'an, autour de la salle où l'on vénére con-fu-tzé, des animaux dont on fait ensuite des repas. ces cérémonies sont-elles idolâtriques? sont-elles purement civiles? reconnaît-on ses péres & con-fu-tzé pour des dieux? sont-ils même invoqués seulement comme nos saints? est-ce enfin un usage politique, dont quelques chinois superstitieux abusent? c'est ce que des étrangers ne pouvaient que difficilement démélèr à la chine, & ce qu'on ne pouvait décidèr en europe. [p. 321] Les dominicains déférérent les usages de la chine à l'inquisition de rome en 1645. le saint-office, sur leur exposé, défendit ces cérémonies chinoises, jusqu'à ce que le pape en décidât. Les jésuites soûtinrent la cause des chinois & de leurs pratiques, qu'il semblait qu'on ne pouvait proscrire, sans fermer toute entrée à la religion chrétienne, dans un empire si jaloux de ses usages. ils représentérent leurs raisons. l'inquisition en 1656 permit aux lettrés de révérer con-fu-tzé & aux enfans chinois d'honorer leurs péres, en protestant contre la superstition, s'il y en avait. L'affaire étant indécise & les missionnaires toûjours divisés, le procès fut sollicité à rome de tems en tems; & cependant les jésuites qui étaient à pékin, se rendirent si agréables à l'empereur camhi en qualité de mathématiciens, que ce prince, célébre par sa bonté & par ses vertus, leur permit enfin d'être missionnaires & d'enseigner publiquement le christianisme. il n'est pas inutile d'observer, que cet empereur si despotique & petit-fils du conquérant de la chine, était cependant soumis par l'usage aux loix de l'empire; qu'il ne put de sa seule autorité permettre le christianisme, [p. 322] & qu'il falut s'adressèr à un tribunal; & qu'il minuta lui-même deux requêtes au nom des jésuites. enfin en 1692 le christianisme fut permis à la chine, par les soins infatigables & par l'habileté des seuls jésuites. Il y a dans paris une maison établie pour les missions étrangéres. quelques prêtres de cette maison étaient alors à la chine. le pape, qui envoie des vicaires apostoliques dans tous les païs qu'on appelle les parties des infidéles, choisit un prêtre de cette maison de paris, nommé maigrot, pour aller présidèr en qualité de vicaire à la mission de la chine; & lui donna l'évéché de conon, petite province chinoise dans le fokien. ce français, évêque à la chine, déclara non seulement les rits observés pour les morts, superstitieux & idolâtres, mais il déclara les lettrés athées. ainsi les jésuites eurent plus alors à combattre les missionnaires leurs confréres, que les mandarins & le peuple. ils représentérent à rome, qu'il paraissait assez incompatible que les chinois fussent à la fois athées & idolâtres. on reprochait aux lettrés de n'admettre que la matiére; en ce cas il était difficile, qu'ils invoquassent les ames de leurs péres & celle de con-fu-tzé. [p. 323] un de ces reproches semble détruire l'autre, à moins qu'on ne prétende qu'à la chine on admet le contradictoire, comme il arrive souvent parmi nous. mais il falait être bien au fait de leur langue & de leurs mœurs, pour déméler ce contradictoire. le procès de l'empire de la chine dura long-tems en cour de rome. cependant on attaqua les jésuites de tous côtés. Un de leurs savans missionnaires, le pére le comte, avait écrit dans ses mémoires de la chine, «que ce peuple a conservé pendant deux-mille ans, la connaissance du vrai Dieu; qu'il a sacrifié au créateur dans le plus ancien temple de l'univers; que la chine a pratiqué les plus pures leçons de la morale, tandis que l'europe était dans l'erreur & dans la corruption.» Il n'était pas impossible que le pére le comte eût raison. en effet, si cette nation remonte, par une histoire autentique & par une suite de trente-six éclipses vérifiées, jusqu'au tems où nous plaçons ordinairement le déluge; il n'est pas hors de vraisemblance, qu'elle ait conservé la connaissance d'un être supréme & unique, plus long-tems que d'autres peuples. cependant, comme on pouvait trouver dans ces propositions quelque [p. 324] idée qui choque un peu les idées reçuës, on les attaqua en sorbonne. l'abbé boileau frére de despréaux, non moins critique que son frére & plus ennemi des jésuites, dénonça en 1700 cet éloge des chinois comme un blasphéme. l'abbé boileau était un esprit vif & singulier, qui écrivait comiquement des choses sérieuses & hardies. il est l'auteur du livre des flagellans & de quelques ouvrages de cette espéce. il disait qu'il les écrivait en latin, de peur que les évêques ne le censurassent; & despréaux son frére disait de lui, s'il n'avait été docteur de sorbonne, il aurait été docteur de la comédie italienne. il déclama violemment contre les jésuites & les chinois, & commença par dire, que l'éloge de ces peuples avait ébranlé son cerveau chrétien. les autres cerveaux de l'assemblée furent ébranlés aussi. il y eut quelques débats. un docteur nommé le sage opina, qu'on envoiât sur les lieux douze de ses confréres des plus robustes, s'instruire à fond de la cause. la scène fut violente; mais enfin la sorbonne déclara les louanges des chinois, fausses, scandaleuses, téméraires, impies & hérétiques. Cette querelle, qui fut vive, envenima celle des cérémonies; & enfin le pape clément onze envoia l'année d'après [p. 325] un légat à la chine. il choisit thomas maillard de tournon, patriarche titulaire d'antioche. le patriarche ne put arriver qu'en 1705. la cour de pékin avait ignoré jusques-là, qu'on la jugeait à rome & à paris. l'empereur camhi reçut d'abord le patriarche de tournon avec beaucoup de bonté. mais on peut juger quelle fut sa surprise, quand les interprétes de ce légat lui apprirent que les chrétiens, qui préchaient leur religion dans son empire, ne s'accordaient point entre eux, & que ce légat venait pour terminèr une querelle dont la cour de pékin n'avait jamais entendu parler. le légat lui fit entendre que tous les missionnaires, excepté les jésuites, condannaient les anciens usages de l'empire; & qu'on soupçonnait même sa majesté chinoise & les lettrés d'être des athées, qui n'admettaient que le ciel matériel. il ajouta qu'il y avait un savant évêque de conon, qui lui expliquerait tout cela, si sa majesté daignait l'entendre. la surprise du monarque redoubla, en apprenant qu'il y avait des évêques dans son empire. mais celle du lecteur ne doit pas être moindre, en voiant que ce prince indulgent poussa la bonté jusqu'à permettre à l'évêque de conon de venir lui parler contre la religion, contre les usages de son païs, & [p. 326] contre lui-même. l'évêque de conon fut admis à son audiance. il savait très peu de chinois. l'empereur lui demanda d'abord l'explication de quatre caractéres peints en or au dessus de son trône. maigrot n'en put lire que deux; mais il soûtint que les mots king-tien, que l'empereur avait écrits lui-même sur des tablettes, ne signifiaient pas adorez le seigneur du ciel. l'empereur eut la patience de lui expliquer que c'était précisément le sens de ces mots. il daigna entrer dans un long éxamen. il justifia les honneurs qu'on rendait aux morts. l'évêque fut infléxible. on peut croire, que les jésuites avaient plus de crédit à la cour que lui. l'empereur, qui par les loix pouvait le faire punir de mort, se contenta de le bannir. il ordonna, que tous les européans, qui voudraient rester dans le sein de l'empire, viendraient désormais prendre de lui des lettres-patentes, & subir un éxamen. Pour le légat de tournon, il eut ordre de sortir de la capitale. dès qu'il fut à nankin, il y donna un mandement, qui condannait absolument les rits de la chine à l'égard des morts, & qui défendait qu'on se servît du mot dont s'était servi l'empereur, pour signifier le dieu du ciel. [p. 327] Alors le légat fut relégué à macao, dont les chinois sont toûjours les maîtres, quoiqu'ils permettent aux portugais d'y avoir un gouverneur. tandis que le légat était confiné à macao, le pape lui envoiait la barette; mais elle ne lui servit qu'à le faire mourir cardinal. il finit sa vie en 1710. les ennemis des jésuites leur imputérent sa mort. ils pouvaient se contenter de leur imputer son éxil. Ces divisions, parmi les étrangers qui venaient instruire l'empire, décréditérent la religion qu'ils annonçaient. elle fut encor plus décriée, lorsque la cour, aiant apporté plus d'attention à connaître les européans, sut que non seulement les missionnaires étaient ainsi divisés, mais que parmi les négocians qui abordaient à canton, il y avait plusieurs sectes ennemies jurées l'une de l'autre. L'empereur camhi ne se refroidit pas pour les jésuites, mais beaucoup pour le christianisme. son successeur chassa tous les missionnaires, & proscrivit la religion chrétienne. ce fut en partie le fruit de ces querelles & de cette hardiesse, avec laquelle des étrangers prétendaient savoir mieux que l'empereur & les magistrats, dans quel esprit les chinois révérent [p. 328] leurs ancêtres. ces disputes, long-tems l'objet de l'attention de paris, ainsi que beaucoup d'autres nées de l'oisiveté & de l'inquiétude, se sont évanouies. on s'étonne aujourd'hui, qu'elles aient produit tant d'animosités; & l'esprit de philosophie, qui gagne de jour en jour, semble assûrer la tranquilité publique. [p. 318] CHAPITRE TRENTE-CINQUIÉME. Disputes sur les cérémonies chinoises. Ce n'était pas assez pour l'inquiétude de notre esprit, que nous disputassions au bout de dix-sept-cent ans sur des points de notre religion; il falut encor que celle des chinois entrât dans nos querelles. cette dispute ne produisit pas de grands mouvemens; mais elle caractérisa plus qu'aucune autre, cet esprit actif, contentieux & querelleur qui régne dans nos climats. [p. 319] Le jésuite matthieu ricci, sur la fin du dix-septiéme siécle, avait été un des premiers missionnaires de la chine. les chinois étaient & sont encor en philosophie & en littérature à-peu-près ce que nous étions il y a deux-cent ans. le respect pour leurs anciens maîtres leur préscrit des bornes qu'ils n'osent passer. le progrès dans les sciences est l'ouvrage de la hardiesse de l'esprit & du tems. mais la morale & la police étant plus aisées à comprendre que les sciences, & s'étant perfectionnées chez eux quand les autres arts ne l'étaient pas encore; il est arrivé que les chinois, demeurés depuis plus de deux-mille ans à tous les termes où ils étaient parvenus, sont restés médiocres dans les sciences & le premier peuple de la terre dans la morale & dans la police, comme le plus ancien. Après ricci, beaucoup d'autres jésuites pénétrérent dans ce vaste empire; & à la faveur des sciences de l'europe, ils parvinrent à jetter secrettement quelques semences de la religion chrétienne, parmi les enfans du peuple, qu'ils instruisirent comme ils purent. des dominicains, qui partageaient la mission, accusérent les jésuites de permettre l'idolâtrie en préchant le christianisme. la question était délicate, ainsi que la conduite qu'il falait tenir à la chine. [p. 320] Les loix & la tranquilité de ce grand empire sont fondées sur le droit le plus naturel ensemble & le plus sacré, le respect des enfans pour les péres. à ce respect ils joignent celui qu'ils doivent à leurs premiers maîtres de morale & surtout à con-fu-tze nommé par nous confucius, ancien sage, qui cinq-cent ans avant la fondation du christianisme, leur enseigna la vertu. Les familles s'assemblent en particulier à certains jours, pour honorer leurs ancêtres; les lettrés en public, pour honorer con-fu-tzé. on se prosterne, suivant leur maniére de saluer les supérieurs, ce qui dans toute l'asie s'appelait autrefois adorer. on brûle des bougies & des pastilles. des colao, que les espagnols ont nommés mandarins, égorgent deux fois l'an, autour de la salle où l'on vénére con-fu-tzé, des animaux dont on fait ensuite des repas. ces cérémonies sont-elles idolâtriques? sont-elles purement civiles? reconnaît-on ses péres & con-fu-tzé pour des dieux? sont-ils même invoqués seulement comme nos saints? est-ce enfin un usage politique, dont quelques chinois superstitieux abusent? c'est ce que des étrangers ne pouvaient que difficilement démélèr à la chine, & ce qu'on ne pouvait décidèr en europe. [p. 321] Les dominicains déférérent les usages de la chine à l'inquisition de rome en 1645. le saint-office, sur leur exposé, défendit ces cérémonies chinoises, jusqu'à ce que le pape en décidât. Les jésuites soûtinrent la cause des chinois & de leurs pratiques, qu'il semblait qu'on ne pouvait proscrire, sans fermer toute entrée à la religion chrétienne, dans un empire si jaloux de ses usages. ils représentérent leurs raisons. l'inquisition en 1656 permit aux lettrés de révérer con-fu-tzé & aux enfans chinois d'honorer leurs péres, en protestant contre la superstition, s'il y en avait. L'affaire étant indécise & les missionnaires toûjours divisés, le procès fut sollicité à rome de tems en tems; & cependant les jésuites qui étaient à pékin, se rendirent si agréables à l'empereur camhi en qualité de mathématiciens, que ce prince, célébre par sa bonté & par ses vertus, leur permit enfin d'être missionnaires & d'enseigner publiquement le christianisme. il n'est pas inutile d'observer, que cet empereur si despotique & petit-fils du conquérant de la chine, était cependant soumis par l'usage aux loix de l'empire; qu'il ne put de sa seule autorité permettre le christianisme, [p. 322] & qu'il falut s'adressèr à un tribunal; & qu'il minuta lui-même deux requêtes au nom des jésuites. enfin en 1692 le christianisme fut permis à la chine, par les soins infatigables & par l'habileté des seuls jésuites. Il y a dans paris une maison établie pour les missions étrangéres. quelques prêtres de cette maison étaient alors à la chine. le pape, qui envoie des vicaires apostoliques dans tous les païs qu'on appelle les parties des infidéles, choisit un prêtre de cette maison de paris, nommé maigrot, pour aller présidèr en qualité de vicaire à la mission de la chine; & lui donna l'évéché de conon, petite province chinoise dans le fokien. ce français, évêque à la chine, déclara non seulement les rits observés pour les morts, superstitieux & idolâtres, mais il déclara les lettrés athées. ainsi les jésuites eurent plus alors à combattre les missionnaires leurs confréres, que les mandarins & le peuple. ils représentérent à rome, qu'il paraissait assez incompatible que les chinois fussent à la fois athées & idolâtres. on reprochait aux lettrés de n'admettre que la matiére; en ce cas il était difficile, qu'ils invoquassent les ames de leurs péres & celle de con-fu-tzé. [p. 323] un de ces reproches semble détruire l'autre, à moins qu'on ne prétende qu'à la chine on admet le contradictoire, comme il arrive souvent parmi nous. mais il falait être bien au fait de leur langue & de leurs mœurs, pour déméler ce contradictoire. le procès de l'empire de la chine dura long-tems en cour de rome. cependant on attaqua les jésuites de tous côtés. Un de leurs savans missionnaires, le pére le comte, avait écrit dans ses mémoires de la chine, «que ce peuple a conservé pendant deux-mille ans, la connaissance du vrai Dieu; qu'il a sacrifié au créateur dans le plus ancien temple de l'univers; que la chine a pratiqué les plus pures leçons de la morale, tandis que l'europe était dans l'erreur & dans la corruption.» Il n'était pas impossible que le pére le comte eût raison. en effet, si cette nation remonte, par une histoire autentique & par une suite de trente-six éclipses vérifiées, jusqu'au tems où nous plaçons ordinairement le déluge; il n'est pas hors de vraisemblance, qu'elle ait conservé la connaissance d'un être supréme & unique, plus long-tems que d'autres peuples. cependant, comme on pouvait trouver dans ces propositions quelque [p. 324] idée qui choque un peu les idées reçuës, on les attaqua en sorbonne. l'abbé boileau frére de despréaux, non moins critique que son frére & plus ennemi des jésuites, dénonça en 1700 cet éloge des chinois comme un blasphéme. l'abbé boileau était un esprit vif & singulier, qui écrivait comiquement des choses sérieuses & hardies. il est l'auteur du livre des flagellans & de quelques ouvrages de cette espéce. il disait qu'il les écrivait en latin, de peur que les évêques ne le censurassent; & despréaux son frére disait de lui, s'il n'avait été docteur de sorbonne, il aurait été docteur de la comédie italienne. il déclama violemment contre les jésuites & les chinois, & commença par dire, que l'éloge de ces peuples avait ébranlé son cerveau chrétien. les autres cerveaux de l'assemblée furent ébranlés aussi. il y eut quelques débats. un docteur nommé le sage opina, qu'on envoiât sur les lieux douze de ses confréres des plus robustes, s'instruire à fond de la cause. la scène fut violente; mais enfin la sorbonne déclara les louanges des chinois, fausses, scandaleuses, téméraires, impies & hérétiques. Cette querelle, qui fut vive, envenima celle des cérémonies; & enfin le pape clément onze envoia l'année d'après [p. 325] un légat à la chine. il choisit thomas maillard de tournon, patriarche titulaire d'antioche. le patriarche ne put arriver qu'en 1705. la cour de pékin avait ignoré jusques-là, qu'on la jugeait à rome & à paris. l'empereur camhi reçut d'abord le patriarche de tournon avec beaucoup de bonté. mais on peut juger quelle fut sa surprise, quand les interprétes de ce légat lui apprirent que les chrétiens, qui préchaient leur religion dans son empire, ne s'accordaient point entre eux, & que ce légat venait pour terminèr une querelle dont la cour de pékin n'avait jamais entendu parler. le légat lui fit entendre que tous les missionnaires, excepté les jésuites, condannaient les anciens usages de l'empire; & qu'on soupçonnait même sa majesté chinoise & les lettrés d'être des athées, qui n'admettaient que le ciel matériel. il ajouta qu'il y avait un savant évêque de conon, qui lui expliquerait tout cela, si sa majesté daignait l'entendre. la surprise du monarque redoubla, en apprenant qu'il y avait des évêques dans son empire. mais celle du lecteur ne doit pas être moindre, en voiant que ce prince indulgent poussa la bonté jusqu'à permettre à l'évêque de conon de venir lui parler contre la religion, contre les usages de son païs, & [p. 326] contre lui-même. l'évêque de conon fut admis à son audiance. il savait très peu de chinois. l'empereur lui demanda d'abord l'explication de quatre caractéres peints en or au dessus de son trône. maigrot n'en put lire que deux; mais il soûtint que les mots king-tien, que l'empereur avait écrits lui-même sur des tablettes, ne signifiaient pas adorez le seigneur du ciel. l'empereur eut la patience de lui expliquer que c'était précisément le sens de ces mots. il daigna entrer dans un long éxamen. il justifia les honneurs qu'on rendait aux morts. l'évêque fut infléxible. on peut croire, que les jésuites avaient plus de crédit à la cour que lui. l'empereur, qui par les loix pouvait le faire punir de mort, se contenta de le bannir. il ordonna, que tous les européans, qui voudraient rester dans le sein de l'empire, viendraient désormais prendre de lui des lettres-patentes, & subir un éxamen. Pour le légat de tournon, il eut ordre de sortir de la capitale. dès qu'il fut à nankin, il y donna un mandement, qui condannait absolument les rits de la chine à l'égard des morts, & qui défendait qu'on se servît du mot dont s'était servi l'empereur, pour signifier le dieu du ciel. [p. 327] Alors le légat fut relégué à macao, dont les chinois sont toûjours les maîtres, quoiqu'ils permettent aux portugais d'y avoir un gouverneur. tandis que le légat était confiné à macao, le pape lui envoiait la barette; mais elle ne lui servit qu'à le faire mourir cardinal. il finit sa vie en 1710. les ennemis des jésuites leur imputérent sa mort. ils pouvaient se contenter de leur imputer son éxil. Ces divisions, parmi les étrangers qui venaient instruire l'empire, décréditérent la religion qu'ils annonçaient. elle fut encor plus décriée, lorsque la cour, aiant apporté plus d'attention à connaître les européans, sut que non seulement les missionnaires étaient ainsi divisés, mais que parmi les négocians qui abordaient à canton, il y avait plusieurs sectes ennemies jurées l'une de l'autre. L'empereur camhi ne se refroidit pas pour les jésuites, mais beaucoup pour le christianisme. son successeur chassa tous les missionnaires, & proscrivit la religion chrétienne. ce fut en partie le fruit de ces querelles & de cette hardiesse, avec laquelle des étrangers prétendaient savoir mieux que l'empereur & les magistrats, dans quel esprit les chinois révérent [p. 328] leurs ancêtres. ces disputes, long-tems l'objet de l'attention de paris, ainsi que beaucoup d'autres nées de l'oisiveté & de l'inquiétude, se sont évanouies. on s'étonne aujourd'hui, qu'elles aient produit tant d'animosités; & l'esprit de philosophie, qui gagne de jour en jour, semble assûrer la tranquilité publique. |