ISSN 2271-1813

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Dictionnaire de la presse française pendant la Révolution 1789-1799

C O M M A N D E R

   

Dictionnaire des journaux 1600-1789, sous la direction de Jean Sgard, Paris, Universitas, 1991: notice 1061

LE NOUVELLISTE DU PARNASSE (1730-1732)

1Titres Le Nouvelliste du Parnasse, ou Réflexions sur les Ouvrages Nouveaux.

2Dates Quatre tomes en trois volumes, composés de lettres publiées séparément; la Lettre 1re peut être datée du 18 décembre 1730 par l'approbation de Jolly; la Lettre 52e et dernière est datée du 15 mars 1732; une Lettre 53e a été publiée séparément après la suppression du journal; elle est parfois jointe à la collection.

Privilège du «22 décembre 1731» (pour 1730), registré le 14 janvier 1731 (publié à la fin de la seconde lettre); approbation à la fin de chaque livraison.

Hebdomadaire: «On sera constant dans la publication de ces Lettres, & le Public peut s'attendre qu'il en paroîtra une tous les Lundis de chaque Semaine» (Avis du Libraire, t. I). Cette périodicité a été en gros respectée; les 52 lettres ont été publiées en 63 semaines. Marais annonce à Bouhier la sortie d'un certain nombre de livraisons (B.N., ms. f. fr. 24414; éd. Henri Duranton, Correspondance littéraire du président Bouhier, Saint-Etienne, t. IV, 1984, p. 129, 147, 213, 226, 232, 251, 278, 316, 324): 14 lettres parues le 27 avril 1731, la 18e le 29 mai, la 32e le 5 sept., la 33e le 14 sept., la 34e le 21, la 37e le 17 oct., la 41e (datée du 11 nov.) le 14 nov., la 48e (fin du t. III) le 26 janv. 1732, la 49e (datée du 15 janv.) le 7 févr. Les lettres sont datées à partir de la Lettre 40e (5 nov. 1731).

3Description Chaque tome comporte 16 lettres, de numérotation continue: t. I, Lettres 1re-16e (392 p.); t. II, Lettres 17e-32e (382 p.); t. III, Lettres 33e-48e (368 p.) et table alphabétique pour les trois tomes (16 p. non pag.); t. IV, Lettres 49e-52e (96 p.).

Cahiers de 24 p. in-12, 90 x 160, correspondant à une livraison.

4Publication A Paris, «Chez Chaubert, à l'entrée du Quay des Augustins, du côté du Pont Saint Michel, à la Renommée & à la Prudence».

Chaque feuille coûte 3 s.

5Collaborateurs Pierre-François Guyot DESFONTAINES et François GRANET.

6Contenu «... on ne parlera que des Ouvrages absolument nouveaux. On s'étendra tout particulièrement sur les nouvelles pièces du Théâtre, & sur les petits Livres qui ont le plus de cours dans le monde, préférant la liberté des reflexions à la régularité des extraits, dont on est résolu de s'abstenir, pour n'avoir aucunement l'air de Journaliste» (Avis, t. I). Les auteurs se défendent à plusieurs reprises de pratiquer un journalisme savant; ils ne donnent ni extraits, ni analyses ni catalogues de livres (t. II, p. 2-3): «Un Nouvelliste du Parnasse ne doit pas être un Gazetier; il doit penser, juger & raisonner». Le journal emprunte donc assez souvent au genre des «Spectateurs»; il est rédigé à la première personne et en style de «lettres»: «Ce n'est pas sans raison que nous avons choisi le genre épistolaire, outre que le stile en est libre et aisé, certains tours qui lui sont familiers donnent de l'éclat & de la vivacité aux réflexions» (t. I, Lettre 12e, p. 278).

Le Nouvelliste du Parnasse fait donc une large place aux productions purement littéraires, dédaignées par les bibliothèques savantes: essais, romans, théâtre, ouvrages critiques, pièces de vers, etc. Il s'attache, avec une remarquable rapidité, à rendre compte de la nouveauté, et sait effectivement mettre en lumière les grandes œuvres du temps, qu'il s'agisse de Voltaire, de Prévost, de Marivaux, de Ramsay ou de Terrasson: il lui arrivera de consacrer cinq lettres à Sethos (L. 20e, 26e, 41e, 42e, 43e). Il ne se limite pas à la littérature; à la manière des «Nouvelles littéraires» de Du Sauzet, de Martel ou de Desmolets, qui ont fleuri sous la Régence, il signale tous les ouvrages qui peuvent intéresser un lecteur cultivé: Théâtre des Grecs de Brumoy (L. 5e, 6e, 15e), Histoire romaine de Rouillé et Catrou (L. 23e, 24e, 25e), Histoire de Saint-Domingue de Charlevoix, ou Histoire générale du Languedoc de Vic et Vaissette. La table alphabétique des trois premiers tomes ne comporte pas moins de 200 titres d'ouvrages, dont elle signale en outre les auteurs.

Plus que des nouvellistes ou des bibliographes, Desfontaines et Granet ont surtout voulu faire œuvre de critiques, et c'est sans doute ce qui fait la nouveauté et l'intérêt exceptionnel du Nouvelliste du Parnasse. Ils interviennent en effet directement dans les grandes querelles littéraires du temps, sur la prose et la poésie, sur le néologisme, sur le roman psychologique, sur le théâtre moderne (et notamment celui de La Motte). Partisans de la tradition et d'un certain purisme littéraire, mais très ouverts à l'évolution du goût et au renouvellement du public, ils se sont attachés, au lendemain de la querelle des Anciens et des Modernes, à redéfinir une esthétique classique. Ils y sont en grande partie parvenus, et tous les grands théoriciens du classicisme, Fréron, Sabatier de Castres, Geoffroy, pourront se réclamer de leur exemple. Par la rigueur de leurs théories littéraires aussi bien que par la franchise et l'audace de leurs prises de position, ils sont surtout parvenus à renouveler la critique littéraire, à lui donner, sinon un statut, du moins une méthode et un style.

7Exemplaires B.N., Z 21882-21885; B.L., 270 d 31 (contient la Lettre 53e); l'exemplaire de la B.N., Rés. Z 2981-2983, comporte les notes manuscrites de Granet; l'exemplaire de la B.M. Aix, 68 372 comporte aussi des notes de Granet, sans doute copiées sur l'exemplaire précédent, comme le suggère une note manuscrite: «Les nottes mises à la marge des 3 tomes du Nouvelliste du Parnasse ont été faites par M. l'abbé Granet, qui avait part à l'ouvrage, et copiées sur le livre qui lui appartenait».

8Bibliographie Le Nouvelliste du Parnasse a connu une large diffusion et sans doute plusieurs rééditions et contrefaçons, dont l'étude reste à faire. Une seconde édition en deux volumes groupe, en 1734, les 53 lettres avec impression continue. L'édition fournie par Slatkine (Genève, 1967) reproduit la première édition mais sans le t. IV. – Morris T., L'abbé Desfontaines et son rôle dans la littérature de son temps, Studies on Voltaire, t. XIX, 1961. – Mattauch H., Die literarische Kritik des frühen französischen Zeitschriften (1665-1748), Munich, Max Hueber, 1968.

Historique Selon l'Avis du libraire en tête du t. I, «c'est une société de quatre personnes qui ont entrepris cet Ouvrage périodique». Quatre lettres (A, E, P, Z) sont censées les désigner en tête de chaque livraison; dans les trois premiers tomes, elles apparaissent chacune douze fois. Mais il arrive souvent qu'un même auteur rende compte du même ouvrage dans plusieurs lettres marquées indifféremment A ou E; c'est le cas pour l'Usage des romans de Lenglet-Dufresnoy (L. 19e, 25e), Sethos (L. 26e, 41e, 42e, 43e) ou l'Histoire de Saint-Domingue (L. 34e, 35e); de la même façon, les lettres P et Z inaugurent tout un groupe de lettres consacrées à Rollin (L. 8e, 28e, 36e, 37e, 44e, 47e). On pourrait déjà en induire, comme le faisait Marais le 29 mai 1731, qu'il y a dans l'équipe de rédaction deux auteurs: «quelque scrupuleux et quelque libertin, un bon et un mauvais soldat, et chacun nous donne sa besogne tour à tour» (à Bouhier, ms. fr. 24 414).

Or le Dictionnaire de Moreri le dit très clairement: «les lettres du Nouvelliste du Parnasse qui ne sont pas marquées A-E sont de l'abbé Granet» (art. «Granet»). Les deux exemplaires annotés de la B.N. et de la B.M. Aix confirment cette attribution, et le premier se réfère à une note de Granet: «Les lettres marquées P et Z sont de moi. Les autres sont de l'abbé Desfontaines» (note sur le papier de garde de l'ex. Rés. Z 2981). L'examen de ces notes marginales donne l'impression d'une collaboration étroite et parfois difficile entre les deux écrivains; Granet précise en marge les attributions, note ses réserves à l'égard de la critique virulente, parfois pédante ou «extravagante» de Desfontaines (L. 13e, 21e), dévoile l'intérêt d'une apologie cachée, signée A (L. 32e, t. II, p. 366, mais Granet utilise l'édition de 1734). Il signale à l'occasion que des lettres attribuées à des correspondants lointains sont le fait du «Nouvelliste», telles la lettre sur «la médiocrité de la poésie» (L. 14e) ou la «Lettre d'un Conseiller au Parlement de Grenoble» (L. 38e). Il est donc certain que Desfontaines et Granet sont les seuls auteurs du N.P., et qu'ils se sont partagé équitablement la tâche tout au long de la publication; mais Desfontaines, plus engagé dans la polémique littéraire, plus acharné à défendre les droits de la critique (L. 17e, 32e, 49e), sera à juste titre considéré comme le responsable de la publication et visé comme tel lors de la suppression.

Le journal a commencé à paraître à la fin de décembre 1730. Les quatre premières lettres, selon l'Avis du libraire, «ont été écrites il y a quelques mois»; cette avance permettra aux deux auteurs d'assurer la régularité de la publication. Le 4 avril 1731, Desfontaines peut écrire à Carte: «Il y a déjà environ de quoi faire un volume» («Lettres inédites de l'abbé Desfontaines, 1728-1735», éd. M.-R. de Labriolle, R.S.H., fasc. 124, oct.-déc. 1966, p. 407). Selon Marais, «il y a déjà 14 lettres» à la fin d'avril (lettre à Bouhier du 27 avril).

Les approbations (non datées) de Jolly semblent accordées avec une grande facilité. Cependant les attaques du Nouvelliste contre des auteurs qu'il nomme souvent en toutes lettres suscitent des protestations. Desfontaines affecte encore, à la fin d'août, de les négliger: «Que vous importent, me direz-vous, les plaintes & les murmures des Auteurs, si le Public s'en moque?» (L. 32e, t. II, p. 365); et Granet note à la plume sur son exemplaire les noms des auteurs malmenés: La Motte, Catrou, Ramsay, Terrasson. En fait, les Modernes ont eu le temps de se ressaisir, et leur contre-offensive se déploie au début de 1732. La lettre du 15 janvier 1732 (49e), qui affirme l'indépendance de Desfontaines et annonce les Mémoires de Mme de Barneveldt, ouvrage de sa main, fort suspect, se voit arrêtée par la censure (lettre de Marais à Bouhier, 7 févr.), et pendant six semaines, on pourra croire à la suppression du Nouvelliste. A la fin de janvier paraît le t. III avec une table qui nomme les auteurs maltraités, notamment «Le Clerc, Sulpicien», traité de «barbouilleur de papier» au t. II (p. 307); celui-ci se répand en protestations (Marais à Bouhier, 7 févr.; Le Clerc à Bouhier, nouv. acq. fr. 4300, fº 195), mais c'est surtout autour de La Motte, mort le 26 décembre 1731, que se concentre la polémique. Trublet publie au début de janvier la Lettre à Mme T.D.L.F., hommage mitigé que mentionne le Nouvelliste (L. 51e); Fontenelle proteste et Desfontaines lui répond par une lettre provocatrice, qui attaque tous les Modernes (L. 52e, 15 mars 1732). Cette lettre est arrêtée par la censure et le privilège est révoqué; le t. IV paraîtra avec la Lettre 52e, suivie de l'indication «Fin du dernier volume». La Lettre 53e, qui attaquait de nouveau Fontenelle, Trublet et La Motte, ne paraîtra que séparément et sans permission en une feuille de 16 p. A lire les Mémoires pour servir à l'histoire de la vie et des ouvrages de M. de Fontenelle, publiés par Trublet en 1761, on garde l'impression que le clan des Modernes s'est regroupé sous l'égide de Fontenelle pour obtenir par tous les moyens la suppression du Nouvelliste du Parnasse; le Glaneur historique de La Varenne mentionne de même, le 20 octobre 1732, une cabale de «lettrés» qui ne supportaient plus «la liberté des jugements de cet auteur». Etant donné les mœurs littéraires de l'époque, cette chute n'avait rien d'imprévisible, et Marais pouvait écrire à juste titre, dès le 27 avril 1731: «Enfin cet Ouvrage est si vrai qu'il ne peut durer». Ce qui pourrait plutôt étonner, c'est la force des appuis dont a joui Desfontaines pendant un an; en dédommagement de la suppression du N.P., il obtiendra le bénéfice de la cure de Thorigny (3000 à 4000 # selon Marais, lettre à Bouhier, 19 févr. 1732), et moins de quatre ans plus tard, il pourra entreprendre, de nouveau avec Granet, les Observations sur les écrits modernes. Desfontaines bénéficiait certainement de hautes protections, en particulier de celle de la princesse de Conti; mais il est indéniable qu'il a su conquérir en même temps un vaste public. Le Nouvelliste du Parnasse a été lu avec passion de semaine en semaine — il suffit pour s'en convaincre, de suivre les commentaires de Marais — et il a été regretté. Desfontaines avait de l'esprit, de l'humeur, de l'indépendance, du goût; avec lui, quelque chose a changé dans la pratique littéraire.

Madeleine FABRE et Jean SGARD

 


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© Universitas 1991-2024, ISBN 978-2-84559-070-0 (édition électronique)