ISSN 2271-1813

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Dictionnaire de la presse française pendant la Révolution 1789-1799

C O M M A N D E R

   

Dictionnaire des journaux 1600-1789, sous la direction de Jean Sgard, Paris, Universitas, 1991: notice 1218

LE SPECTATEUR FRANÇAIS 2 (1770?-1772)

1Titres Le Spectateur françois, pour servir de suite à celui de M. de Marivaux.

2Dates Il est fort possible que le Spectateur de Delacroix ait paru en feuilles mensuelles depuis juin 1770: dans la collection de 1771-1772, on trouve au bas de la première page de chaque numéro l'indication de la date de publication, de juin 1770 à décembre 1772. Le Discours préliminaire fait allusion à une première publication: «Quoique les Journaux ayent déjà annoncé avec éloge les Feuilles que nous avons données, nous ne nous dissimulons pas qu'elles auroient pu être écrites d'un style plus enjoué»; mais aucune de ces feuilles séparées n'a été conservée. Les 6 volumes publiés sous la date de 1771 (t. I-III) et 1772 (t. IV-VI) rassemblent 30 feuilles, à raison de 5 «feuilles» ou «cahiers» par tome: le t. I réunit les feuilles de juin-oct. 1770; le t. II, de janv.-mai 1771; le t. III, de juin-oct. 1771; le t. IV, de janv.-mai 1772; le t. V, de juin-oct. 1772; le t. VI n'est daté que par la première feuille, de décembre 1772, mais irait, selon une note manuscrite de l'exemplaire consulté, jusqu'en février 1773. Les rééditions de 1777 (Peintures des mœurs de ce siècle) et de 1796 (Le Spectateur français avant la Révolution) prouvent que la collection en 6 tomes était bien complète: on y trouve une anthologie du S.F., du «Discours préliminaire» (t. I) aux «Adieux du Spectateur» (t. VI).

3Description Six volumes ou tomes de 351 à 360 p.; la division en feuilles n'apparaît que par les dates données à la fin de chaque page initiale de feuille; la seule division intérieure du volume repose sur les «Discours» successifs: 34 dans le t. I, 23 dans le t. II, 24 dans le t. III, 24 dans le t. IV, 23 dans le t. V et 28 dans le t. VI. Outre ces «Discours», on trouve beaucoup de «Lettres», non numérotées, de prétendus correspondants. Chaque feuille est composée de 3 cahiers de 24 p. in-12, 95 x 165.

Devise (en page de titre): «L'Etude propre à l'Homme est l'Homme même. Pope».

4Publication «A Paris, Chez [accolade] la V. Duchesne, rue Saint Jacques, au Temple du Goût, Lacombe, rue Christine».

«On adressera les Lettres, franches de port, à M. le Spectateur, chez la veuve Duchesne, Libraire, rue Saint Jacques. Et chez Lacombe, rue Christine [...]. L'on s'abonnera chez les mêmes Libraires: le prix de l'abonnement est de 9 livres pour Paris, & de 12 livres pour la Province, franc de port».

5Collaborateurs Jacques-Vincent DELACROIX. Le «Premier Discours» (t. I, p. 10) fait état de deux auteurs; jusqu'au t. III, les avis mentionnent toujours «les auteurs», et l'on trouve encore dans l'avis en fin du t. V cette remarque: «Les Auteurs ont pris la résolution, pour satisfaire le Public, de faire délivrer les trois volumes qui complettent la souscription, à la fin de chaque année». A partir du t. IV apparaît l'avis suivant: «M. de Lacroix, Avocat, rue Sainte Croix de la Bretonnerie, veut bien se charger de recevoir les souscriptions» (p. 360). Il semble bien que la pluralité d'auteurs ait été une fiction. Delacroix a abandonné le journal au milieu du t. VI; il annonce, à la fin du 15e discours (p. 287): «Mes chers Lecteurs, celui qui vous apparaissoit tous les mois ne s'offrira plus à vous qu'une seule fois; il a réuni dans d'autres mains la plume qu'il tient depuis deux ans». Un Avis confirme cet abandon: «Le nouveau Continuateur vient de faire paroître la seconde Feuille de cette année [janv. ou févr. 1772]». Il reste que la totalité de l'ouvrage est marquée du style de Delacroix, et que les rééditions sont présentées sous son seul nom.

6Contenu Dans son Discours préliminaire, Delacroix se réfère à Addison et à Marivaux, non sans dénigrer sournoisement l'auteur du premier Spectateur français: «s'il eût voulu déployer tous ses talens, il nous auroit donné un excellent Spectateur; mais son esprit refroidi par la critique, peut-être émoussé par les années, s'est trop étendu sur les mêmes sujets» (on notera au passage que Marivaux, à l'époque du Spectateur français, avait un peu plus de trente ans). De même dans le 6e Discours: «son génie paresseux s'est bientôt fatigué; il est devenu long et diffus» (t. I, p. 78). Delacroix s'efforce donc de multiplier les sujets et de faire alterner le grave et le plaisant: «La Morale présentée sans art attriste & fatigue les lecteurs. Je me conformerai donc au goût de mon siècle; je deviendrai frivole pour lui plaire; mes discours ne seront point hérissés de sentences. Souvent je renfermerai la vérité dans un conte» (t. I, p. 57). L'influence de Marivaux sur Delacroix est néanmoins évidente: elle paraît dans l'alternance de «discours» ou de réflexions personnelles et de lettres présumées authentiques, qui forment souvent des esquisses de romans; elle paraît aussi dans le tour moral qu'il sait donner au commentaire de l'actualité, à de menues anecdotes, à des portraits, à des lectures. Son désir de plaire à tout le monde ne va pourtant pas sans une certaine duplicité. Il rêve «d'un Ouvrage écrit avec philosophie, égayé par l'esprit, & enrichi par l'imagination» (t. II, p. 209); il lui arrive plus souvent de passer de la frivolité au sentimentalisme. On va d'un conte léger (histoire d'Aglaé, qui lisait en cachette Les Amours de Lucile et de Doligny, t. I, 4e Discours) à l'histoire tragique de Faldoni (t. I, 9e Discours), d' une visite de la Chartreuse (t. I, 28e Discours) à une analyse du Système de la nature (t. I, 30e Discours), d'une visite à Saint-Domingue (16e Discours) à un long commentaire des tombeaux de Hervey (20e Discours). La même variété s'observe dans le choix des sujets: comptes rendus, récits de voyages, anecdotes, réflexions sur l'amour, l'amitié, la fortune, contes moraux (t. I), discours sur les spectacles, sur l'histoire de Charles-Quint, sur l'exil du Parlement, sur la musique italienne (t. II), sur les Salons, l'Opéra, le roi de Prusse (t. III), sur le roman sensible, le suicide, les opéras de Rameau (t. IV), sur Roméo et Juliette, sur le danger des romans, la révolution de Suède, le déceintrement du pont de Neuilly (t. V).

Table des discours et lettres à la fin de chaque volume, exception faite pour la table du t. IV, reportée au t. V.

7Exemplaires Bibliothèque de la Comédie-Française, L 373-378.

8Bibliographie DP2, art. «Delacroix» de M. Gilot.

Les rééditions et les suites du Spectateur français sont nombreuses (voir la notice de M. Gilot). On peut noter deux rééditions, d'ailleurs incomplètes: Peinture des mœurs de ce siècle «ou Lettres et Discours sur différents sujets, par M. de La Croix» (1777, 2 vol.); Le Spectateur françois avant la Révolution «Par le Citoyen De La Croix, Ancien Professeur de Droit public au Lycée, Auteur du Spectateur français pendant le Gouvernement Révolutionnaire» (Paris, Buisson, an IV, 1 vol.). Les deux rééditions ne comportent qu'une partie des textes de l'original, mais donnent quelques textes postérieurs à 1772, en particulier les lettres écrites à Delacroix par Voltaire en 1772 et 1775. Quant au titre du Spectateur français, Delacroix l'a exploité jusqu'en 1830.

Historique Il est possible qu'au début de son entreprise, Delacroix ait eu un associé. Dans le 26e Discours, au milieu du t. I, il déplore son départ: «O Dieu! quelle nouvelle! mon appui, le soutien de cet Ouvrage, mon cher co-Spectateur, m'abandonne; il va au loin chercher la fortune qui l'appelle» (p. 246). Après quoi, il publie quelques lettres de lui, de Lyon, de la Grande Chartreuse, de Saint-Domingue; mais il est possible aussi que tout cela soit pure fantaisie. On ne sait non plus s'il faut prendre au sérieux les allusions que Delacroix fait à sa propre existence: au tout début de son journal, il était jeune, pauvre et solitaire et n'avait encore que «l'expérience du malheur» (t. III, 7e Discours). Au milieu du t. III se manifeste une sorte de crise, réelle ou fictive; l'auteur, qui s'était engagé au début à un mélange «de contes agréables, de lettres enjouées et pittoresques», a désormais l'esprit «altéré par la douleur» (12e Discours, t. III, p. 145); il s'est jeté, par déception sentimentale, dans la dissipation, «cause de l'inégalité qui règne dans cet Ouvrage» (p. 149). Il renie maintenant la frivolité (p. 149-150); il s'engage pourtant, un peu plus tard, à éviter l'ennui et à égayer ses lecteurs (17e Discours, p. 222). Dans le t. IV, les «Discours» tendent à disparaître au profit des «Lettres», accompagnées de commentaires mélancoliques dans le style du temps; dans le t. V, on le verra hésiter entre Héraclite et Démocrite (1er Discours). On peut se demander s'il ne cherche pas à donner à son narrateur, comme il est d'usage dans les «Spectateurs», une personnalité originale. Quant aux opinions politiques et sociales de Delacroix, elles n'apparaissent qu'assez rarement dans son journal. Lors de la visite à la Chartreuse, il exprime, avec les accents d'un physiocrate convaincu, son aversion pour ce style de vie (t. I, p. 271-272). Un jour, il répond avec acrimonie à un rédacteur d'affiches provinciales qui semait son journal «de phrases obscures et épigrammatiques contre les Encyclopédistes & les Philosophes» (t. II, p. 209). Une autre fois, il répond ironiquement à Sabatier de Castres, qui avait attaqué Voltaire, d'Alembert, Diderot, Baculard d'Arnaud, etc. dans ses Trois siècles de littérature (t. VI, p. 77-78).

Il est possible que Delacroix se soit lassé du style léger de ses premières feuilles. Dans la réédition de 1796, il tente de se justifier du style «monarchique» du Spectateur français, il regrette le ton frivole de l'époque, et l'écart qu'on pouvait relever entre le Spectator de Steele et Addison et le sien: «il y auroit de l'injustice à exiger que le Spectateur français, dont les feuilles passoient sous les yeux d'un censeur sévère, eût toute la liberté, toute l'indépendance, toute l'énergie du Spectateur anglais» (p. XXI). En même temps, il garde, dans ses rééditions successives, ce mélange des genres qui avait sans doute fait le succès de son journal. Delacroix semble avoir tenté le pari de faire du Spectateur Régence de Marivaux un Spectateur Louis XVI; il l'a en partie gagné, non sans difficultés; et son journal reste, par la variété des sujets et l'instabilité du ton un bon témoignage sur cette époque. La réédition de l'an IV montre que dès la fin de la Révolution, le Spectateur de Delacroix était devenu une sorte de témoin de la monarchie disparue.

Jean SGARD

 


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© Universitas 1991-2024, ISBN 978-2-84559-070-0 (édition électronique)