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Dictionnaire des journaux 1600-1789, sous la direction de Jean Sgard, Paris, Universitas, 1991: notice 172 BIBLIOTHÈQUE UNIVERSELLE DES ROMANS (1775-1789) 1] Titres Bibliothèque universelle des romans, ouvrage périodique, Dans lequel on donne l'analyse raisonnée des Romans anciens & modernes, François, ou traduits dans notre langue; avec des Anecdotes & des Notices historiques & critiques concernant les Auteurs ou leurs Ouvrages; ainsi que les mœurs, les usages du temps, les circonstances particulières & relatives, & les personnages connus, déguisés ou emblématiques. Continuée par la Nouvelle Bibliothèque des romans (1798-1805). 2] Dates Juillet 1775 - juin 1789. Avec approbation et privilège (27 avril 1775). Prospectus: juillet 1775, premier volume; Mercure de France, mai 1775; Journal encyclopédique, 15 juin 1775; L'Année littéraire, 21 nov. 1775; Gazette d'Europe, juin 1776. La périodicité annoncée (le premier de chaque mois, plus un volume supplémentaire les 15 janvier, avril, juillet, et octobre) est respectée, à l'exception de quelques retards insignifiants, qui devinrent plutôt longs et fréquents en 1787-1788 et qui sont attestés par une date d'approbation postérieure à celle de la page de garde. Dès juillet 1788, il n'y a plus cette indication interne de la date de parution. 3] Description 224 volumes au total, correspondant chacun à une livraison, soit 16 volumes par an (12 livraisons mensuelles et 4 livraisons doubles). A partir d'avril 1788, la pagination est continue sur deux volumes (A. Martin, La Bibliothèque universelle des romans, p. 8). Environ 215 p. par volume (on promet 9 feuilles). In-12, 95 x 135. Prix: 24 # à Paris, 32 # en province, 36 sous le volume pour ceux qui n'étaient pas abonnés. 4] Publication Paris, «Au Bureau, rue Neuve Sainte-Catherine, pour Paris. Au Bureau & chez Demonville, Imprimeur-Libraire de l'Académie Française, rue Christine, pour la Province». Les adresses du bureau varient. De nouveaux libraires s'y associent pour les abonnements en province: Moutard en mai 1779; Gueffier, oct. 1780, vol. I; déc. 1780 et juil. 1781, vol. I; avril 1782, vol. I. Seul Jean-François Bastien est nommé entre juillet 1787, vol. I et juillet 1788, vol. I. L'index littéraire de Martin comprend tous les noms de libraires cités dans les volumes. 5] Collaborateurs Le marquis de PAULMY, Marc Antoine René de Voyer d'Argenson, dont l'associé fut le comte Louis Elisabeth de La Vergne de TRESSAN, tous les deux médiévistes reconnus. Le propriétaire du privilège fut Jean-François de BASTIDE, écrivain professionnel peu estimé des éditeurs de la Correspondance littéraire (juil. 1776, XI, 307). Il devint directeur de fait, toujours avec l'appui de Tressan, à la démission de Paulmy en décembre 1778. Collaborateurs: Denis Dominique Cardonne, interprète du roi en langues orientales; André Guillaume Contant d'Orville, associé de Paulmy; Couchu, spécialiste pour les extraits tirés de l'espagnol; Jean Marie Louis Coupé, traducteur assez connu; Jean-Pierre Claris de Florian, nouvelliste; Barthélemy Imbert; Pierre Jean Baptiste Le Grand d'Aussy, médiéviste; Charles-Joseph de Mayer, qui avec Tressan et Bastide fut un des rédacteurs les plus féconds; Louis Poinsinet de Sivry. Collaborateurs occasionnels, noms cités au même caractère que ceux des collaborateurs connus: Perrin de Cayla; le chevalier de Cubières; Digeon; Nicolas Bricaire de La Dixmerie; Dugas; Eidous; Friedel; Jacques Vincent de La Croix; Jean-Baptiste de La Curne de Sainte-Palaye; Mme Riccoboni. L'index littéraire de Martin comporte une liste de tous les noms d'auteurs, de traducteurs et d'éditeurs qui figurent dans la B.U.R. 6] Contenu Le périodique fit connaître «l'âme, l'esprit, & pour ainsi dire, la miniature» de tous les romans «que le tems a accumulés» dans le but philosophique de faire comprendre l'histoire des mœurs (Prospectus). La bibliothèque comprend plus de 800 extraits et textes intégraux. Le dernier volume en donne une table alphabétique. Voir aussi la table critique de Martin. 7] Exemplaires B.N., Y2 8145-8335; – Rés. Y2 1861-1968; Ars., 8º BL 28864. Collection étudiée: réimpression Genève, Slatkine, 1969, 28 vol. 8] Bibliographie De nombreuses réimpressions partielles, car les éditeurs tenaient à garder disponibles les anciens numéros pour les nouveaux souscripteurs. Traduction en anglais, 1780, 2 vol.: A New and Complete Collection of Interesting Romances and Novels translated from the French by Mr. Porney, teacher of French language at Richmond, Surrey, et A New Treasure of Knowledge and Entertainment being a translation of that celebrated periodical work now being published in France under the title of Bibliothèque universelle des Romans, London, 1780. Clapp J.M., «An eighteenth-century attempt at a critical view of the novel: the Bibliothèque des Romans», PMLA, 25, 1910, p. 60-96. – Poirier R., La Bibliothèque universelle des romans, Genève, Droz, 1977. – Martin A., «La Bibliothèque universelle des romans», 1775-1789. Présentation, table analytique, et index, Studies on Voltaire, t. CCXXXI, 1985. – Sauvy-Wilkinson A., «Lecteurs du XVIIIe siècle. Les abonnés de la Bibliothèque universelle des romans. Premières approches», Australian journal of French studies, t. XXIII, 1986, p. 48-60. Historique Le moment choisi par Paulmy pour lancer sa B.U.R. était propice à plusieurs égards. La vogue des collections encyclopédiques continuait. Sa bibliothèque personnelle qui allait devenir le noyau de la collection de l'Arsenal comptait suffisamment de manuscrits et d'ouvrages rares pour remplir les pages pendant des années. En plus, le roman se voyait racheté moralement par le succès de La Nouvelle Héloïse. Bastide s'appuie dans la préface sur la valeur d'une lecture «dirigée par la Philosophie», sur le côté historique des «Romans de tout genre, ceux même de l'imagination la plus folle», et sur les vérités des fictions, tout en soulignant le divertissement et le plaisir auxquels s'attendait le lecteur de romans. Pour réaliser leur double but de l'utile et l'agréable, les éditeurs s'érigèrent plus en critiques qu'en simples compilateurs. Ils choisirent les textes à traduire, en traduisirent certains eux-mêmes, et créèrent même, surtout à partir de 1779, des textes inédits dans le goût du journal. Les traités sur les littératures étrangères furent nombreux ainsi que les commentaires et les notes parfois très étendus et les notices biographiques. Bien qu'on ne promette dans le prospectus que des notices sur les ouvrages les plus célèbres, la B.U.R. en donne souvent de longs extraits: la plupart des textes demeurent consacrés à des fictions plus obscures. Le devoir dont le directeur se chargea étant de parler de tous les romans de tous les temps, le champ fut parfois stérile en intérêt, ce qui ne fut pas toujours bien accueilli par un public aisé et probablement plus féminin que masculin qui dut préférer l'agréable (voir oct. 1787, vol. I, p. 3-8 pour une réponse des éditeurs aux critiques à ce sujet). En tant que collection de vieux manuscrits et livres rares, le journal chercha ses textes partout. Paulmy en fournit la plupart au début, semble-t-il, mais il ferma sa bibliothèque avec sa démission. Les rédacteurs puisèrent alors dans leurs propres bahuts, dans la Bibliothèque du Roi que Bignon leur avait ouverte, et chez le public, qu'on interrogea régulièrement sur les livres à résumer et sur les lacunes (la littérature allemande, par exemple, sur laquelle les lecteurs du Journal de Berlin auraient peut-être des renseignements qu'ils partageraient avec le public de la B.U.R. (nov. 1776). Le propriétaire paya ces contributions (avril 1780, vol. I, p. 3-6), qui lui furent envoyées par des auteurs et des gens de lettres, des amateurs et des gens de qualité, et par, tout simplement, «de jolies dames». Les sujets traités par la B.U.R. se divisent en huit classes inspirées de celles de Lenglet Dufresnoy: les traductions des anciens romans grecs et latins; les romans de chevalerie, redécouverts grâce en partie à la B.U.R.; les romans historiques, classe inégale puisque le journal manqua souvent de matières pour les littératures moins connues telles la scandinave et l'allemande, comme nous venons de le voir, tandis que les ressources en d'autres domaines, surtout la littérature ibérique, abondaient; les romans d'amour, y compris beaucoup d'ouvrages contemporains dès 1780; les romans de spiritualité, de morale et de politique; les romans satiriques, comiques et bourgeois; les nouvelles historiques et les contes; et les romans merveilleux. L'intention de traiter méthodiquement les huit classes se transforma à partir du cinquième volume, ces limites ne répondant ni aux textes disponibles ni aux désirs du public. Les romans de chevalerie et de la littérature du seizième siècle furent applaudis et donc multipliés, alors que les romans traduits du grec et latin furent si peu nombreux que cette rubrique ne fut gardée qu'une année, après quoi la première classe devint celle des romans étrangers, un quart environ de la collection. En janvier 1778, vol. I, le directeur annonce un nouveau plan: l'alternance entre les romans français par ordre alphabétique et les romans étrangers, historiques et de chevalerie, et la suppression des autres classes. Quand cette tentative fut abandonnée en août 1780, on était toujours à la lettre «A» pour les romans français. Le directeur n'avait d'ailleurs pas totalement retiré le cinquième groupe, les romans de spiritualité, devenu romans mythologiques en mai 1780, car six extraits parurent pendant ces deux années. La notation de la classe devient de plus en plus irrégulière dans les volumes qui restent, pour disparaître presque complètement dans les deux dernières années. On sent aussi des difficultés d'organisation dans certaines décisions de classement plus ou moins arbitraires: des romans historiques qui conviennent aussi bien au groupe des romans merveilleux; des romans d'amour qui se trouvent à la classe historique par leurs héros royaux, des aventures de chevalerie parmi les romans étrangers par leur origine nationale. Les rédacteurs firent même des extraits de drames ou de poèmes épiques quand les romans manquaient dans une classe, sous le prétexte qu'il s'agissait au fond d'œuvres d'imagination. Les articles où la classe est indiquée pèsent ainsi dans la totalité de 46 700 p.: romans étrangers, 22,3%; de chevalerie, 11,29%; historiques, 14,59%; d'amour (et romans français), 24,6%; de spiritualité, 3,9%; satiriques, 2,4%; nouvelles, 2,73%; merveilleux, 2,06%; sans classe, 16,13%. Les commentaires et la disposition des textes révèlent une méthode qui vise déjà à l'édition critique. Les textes sont presque toujours situés par des remarques, souvent développées sur plusieurs pages, et on éclaire les obscurités de l'histoire par des notes ou par des explications dans le texte même. On fournit des clés, des notices biographiques, et des notes pour terminer la narration quand l'analyse n'est pas intégrale. L'attention portée à la traduction n'est pas surprenante dans un journal où plusieurs membres de l'équipe, et notamment les chefs, s'en occupaient. Les notes sur les traducteurs sont parfois aussi longues que celles sur les auteurs, et les mots et expressions qui se traduisent difficilement, surtout de l'ancien français, sont commentés. La liste des éditions successives et les traductions d'un ouvrage comprennent souvent un conseil sur le meilleur des textes, et il arrive que deux versions du même ouvrage soient analysées, afin que le lecteur puisse les comparer. Quand un auteur fond plusieurs histoires pour en composer une nouvelle, les sources sont parfois signalées (la narration du Roland, par exemple, oct. 1777, vol. II). Les paternités littéraires et les dates douteuses se voient rétablies, et la marche et le style de la version originale sont consciemment respectés. Le périodique, bien que collection d'œuvres d'imagination, tenait pour la forme à la valeur de la vérité historique. La présentation et les notes des romans historiques et de chevalerie corrigent les erreurs de fait et rappellent au lecteur que telle aventure fut tirée de l'histoire ou ne le fut pas. Mais tout en recommandant l'impartialité de la donnée historique, la B.U.R. ne fut guère exigeante ni sur la provenance du texte ni sur la fidélité à son état primitif. Après le départ de Paulmy, les éditeurs n'hésitent pas à extraire leurs récits soi-disant historiques des romans des seizième et dix-septième siècles. Quand un «monument historique» n'existait pas ou qu'une histoire manquait de conclusion, l'écrivain se crut autorisé à en inventer. Si la conclusion ne plaisait pas, il fallait la transformer, et les détails ridicules ou indécents durent être censurés. Un collaborateur l'expliqua en août 1775: «Il faut que la fable ne s'écarte de la vérité que pour en orner les traits; & l'on ne pardonne pas au Romancier d'altérer l'histoire, s'il ne sait point l'embellir» (p. 145). En vue de cet embellissement, les rédacteurs prirent d'autres libertés plutôt littéraires avec leurs textes, tout en essayant de conserver leur caractère original. Ils changèrent la disposition du plan, firent ressortir les événements principaux, et développèrent ou réduisirent les histoires. Les personnages qui manquaient d'énergie en eurent. Les longueurs et les détails ennuyeux furent supprimés et les histoires confuses se démêlèrent. Le style devint plus pur. Les collaborateurs récrivirent enfin les histoires, comme celle que Tressan raconte de mémoire après 45 ans (janv. 1777, vol. I, p. 47-50), ou comme cette autre narration de Bocace qui, dit l'éditeur, l'aurait sans doute traitée de la manière de la B.U.R. s'il avait pu prévoir ces lecteurs français (juil. 1779, vol. II, p. 4). Le goût littéraire de la B.U.R. reste plutôt conservateur avec toutefois certains indices qui situent la collection bien dans son temps. Les écrivains louent un style chaleureux caractérisé par l'énergie et l'animation plutôt que par l'esprit et la sécheresse. Ils préfèrent la naïveté et la simplicité aux prodiges de mémoire et de brillance de leurs contemporains. Les hiérarchies et les définitions existent pour eux, ils acceptent alors difficilement le «goût du terroir» des romans anglais, les romans-fleuves, et les images grotesques ou sanglantes, bien qu'ils cherchent et louent partout les détails réalistes des tableaux de mœurs peints par le romancier. Si celui-ci jouit d'une relative liberté, il doit en même temps se rendre compte que les grands principes, la vraisemblance, l'unité, la vérité des caractères, valent dans le roman dans la même mesure que dans le drame. Le romancier habite le domaine de l'imagination, c'est un principe souvent répété, mais de là aux théories d'un Diderot sur le génie et l'originalité il y a un pas qu'aucun critique ne fait. Le roman admet aussi la sensibilité, et sur ce point la B.U.R. est bien de son temps avec ses élans: «Mais le sentiment! le sentiment! que ne pense-t-on pas, que n'imagine-t-on point avec un cœur sensible» (juil. 1786, vol. II, p. 168); et ses affirmations: «Un Roman qui ne parle point à l'âme sensible, quelque mérite qu'il ait d'ailleurs, est, à notre avis, un Ouvrage très-médiocre, pour n'en pas dire plus» (avril 1779, vol. II, p. 22). Comme dépôt littéraire, la B.U.R. trouva naturellement plus de richesses dans le passé que dans le présent, qui fut condamné pour son manque de gaîté, sa froideur, la corruption des mœurs, le factice, et son goût en littérature pour les marquis fades et la galanterie. Cependant, ce public de l'ancien régime réserva une bonne part de son enthousiasme pour des héros d'un tout autre âge, ceux de la chevalerie, et dont les histoires contribuèrent beaucoup au succès du journal. La B.U.R. fit prévaloir aussi le classicisme de Mme de La Fayette et critiqua la diffusion et l'exagération des Scudéry, en fournissant de longs extraits des ouvrages des deux écoles. Les romans étrangers, que le propriétaire appelait «une nouvelle branche de littérature» (janv. 1779, vol. II, Avis), remplirent, comme nous l'avons vu, près d'un quart de la collection. On trouve aussi de nombreux extraits des écrivains du dix-huitième siècle (Lesage, Prévost, Marivaux), dont peu de très récents et aucun de Voltaire ou de Rousseau. Depuis le début de la B.U.R. les directeurs insistèrent sur la bienséance et l'honnêteté, une circonspection nécessitée encore peut-être par la réputation des romans. Les éditeurs n'hésitèrent pas à couper les endroits scandaleux ou les expressions trop libres, surtout dans les romans de chevalerie. Ce fut cependant l'éditeur responsable de ces histoires, Tressan, qui provoqua à ce sujet la démission du directeur, Paulmy. Celui-ci critiqua des libertés que Tressan s'était permises, et le conflit n'étant pas résolu autrement, Paulmy retira son appui en décembre 1778. Le motif de la rupture fut-il connu? Les protestations de décence augmentent curieusement sous la nouvelle direction de Bastide. Malgré l'insuccès de deux tentatives de réédition in-quarto (1782) et in-octavo (1787), le journal fut bien reçu du public. Le directeur parle souvent dans les avis de ce bon accueil, qui est d'ailleurs attesté par les 224 volumes publiés au cours de 14 ans. Les raisons de l'interruption du périodique restent inconnues. On lit à plusieurs reprises l'embarras des éditeurs devant la difficulté de plaire en même temps aux savants et au public. Un obstacle moins surmontable fut sans doute le début de la Révolution; les derniers volumes parurent probablement en retard sur la date indiquée avec le titre. Quelles que soient les vraies explications, on peut constater la fin du journal dans une table complète marquée juin 1789. Kathleen HARDESTY DOIG
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