ISSN 2271-1813

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Voltaire, Le Siècle de Louis XIV, l'édition de 1751
Préparée et présentée par Ulla Kölving

 

[p. 193] CHAPITRE TRENTIÉME.

Suite des Arts.

A l'égard des arts qui ne dépendent pas uniquement de l'esprit, comme la musique, la peinture, la sculpture, l'architecture; ils n'avaient fait que de faibles progrès en france, avant le tems qu'on nomme le siécle de louis XIV. la musique était au berceau: quelques chansons languissantes, quelques airs de violon, de guitarre & de tuorbe, la pluspart même composés en espagne, étaient tout ce qu'on connaissait. lulli étonna par son goût & par sa science. il fut le premièr en france, qui fit des basses, des milieux [p. 194] & des fugues. on avait d'abord quelque peine à éxécuter ses compositions, qui paraissent aujourd'hui si simples & si aisées. il y a de nos jours mille personnes qui savent la musique, pour une qui la savait du tems de louis XIII; & l'art s'est perfectionné dans cette progression. il n'y a point de grande ville, qui n'ait des concerts publics; & paris même alors n'en avait pas. vingt-quatre violons du roi étaient toute la musique de la france.

Les connaissances, qui appartiennent à la musique & aux arts qui en dépendent, ont fait tant de progrès, que sur la fin du régne de louis XIV, on a inventé l'art de noter la danse; desorte qu'aujourd'hui il est vrai de dire, qu'on danse à livre ouvert.

Nous avions eû de très grands architectes, du tems de la régence de marie de médicis. elle fit élever le palais du luxembourg dans le goût toscan, pour honorer sa patrie, & pour embellir la nôtre. le même desbrosses, dont nous avons le portail de saint-gervais, bâtit le palais de cette reine, qui n'en jouit jamais. il s'en falut beaucoup, que le cardinal de richelieu eût, avec autant de grandeur dans l'esprit, autant de goût qu'elle. le palais cardinal, qui est aujourd'hui le palais roial, en est la preuve. nous conçûmes [p. 195] les plus grandes espérances, quand nous vîmes élever cette belle façade du louvre, que nous voions aujourd'hui offusquée, avec douleur. beaucoup de citoiens ont construit des édifices magnifiques; mais plus recherchés pour l'intérieur, que recommandables par des dehors dans le grand goût; & qui satisfont le luxe des particuliers, encor plus qu'ils n'embellissent la ville.

Colbert, le mécéne de tous les arts, forma une académie d'architecture en 1671. c'est peu d'avoir des vitruves; il faut que les augustes les emploient.

Il faut aussi que les magistrats municipaux soient animés par le zéle, & éclairés par le goût. s'il y avait eû deux ou trois prévôts des marchands comme le président turgot, on ne reprocherait pas à la ville de paris cet hôtel de ville mal construit & mal situé; cette place si petite & si irréguliére, qui n'est célébre que par des gibets & de petits feux de joie; ces ruës étroites dans les quartiers les plus fréquentés; & enfin un reste de barbarie, au milieu de la grandeur & dans le sein de tous les arts.

La peinture commença sous louis XIII, avec le poussin. il ne faut point compter les peintres médiocres, qui l'ont précédé. nous avons eû toûjours depuis lui de [p. 196] grands peintres; non pas dans cette profusion qui fait une des richesses de l'italie; mais sans nous arrétèr à un le sueur qui n'eut d'autre maître que lui-même, à un le brun qui égala les italiens dans le dessein & dans la composition; nous avons eû plus de trente peintres, qui ont laissé des morceaux très dignes de recherche. les étrangers commencent à nous les enlever. j'ai vu chez un grand roi des galeries & des apartemens, qui ne sont ornés que de nos tableaux, dont peut-être nous ne voulions pas connaître assez le mérite. j'ai vu en france refuser douze-mille livres d'un tableau de santerre. il n'y a point dans l'europe de plus vaste ouvrage de peinture, que le plafond de le moine à versailles; & je ne sai s'il y en a de plus beaux.

Nous avons aujourd'hui un peintre, qui chez les étrangers même passe pour le premier de l'europe. non seulement colbert donna à l'académie de peinture la forme qu'elle a aujourd'hui; mais en 1667, il engagea louis XIV à en établir une à rome. on acheta dans cette métropole un palais où loge le directeur. on y envoie les éléves, qui ont remporté des prix à l'académie de paris. ils y sont conduits & entretenus aux frais [p. 197] du roi. ils y dessinent les antiques. ils étudient raphaël & michel-ange. c'est un noble hommage que rendit à rome ancienne & nouvelle le désir de l'imiter; & on n'a pas même cessé de rendre cet hommage, depuis que les immenses collections de tableaux d'italie amassées par le roi & par le duc d'orléans, & les chefs-d'œuvre de sculpture que la france a produits, nous ont mis en état de ne point cherchèr ailleurs des maîtres.

C'est principalement dans la sculpture que nous avons excellé, & dans l'art de jettèr en fonte d'un seul jet des figures équestres colossales.

Si l'on trouvait un jour, sous des ruines, des morceaux tels que les bains d'apollon exposés aux injures de l'air dans les bosquets de versailles, le tombeau du cardinal de richelieu trop peu montré au public dans la chapelle de sorbonne, la statuë équestre de louis XV faite à paris pour décorer bordeaux, le mercure dont louis XV a fait présent au roi de prusse, & tant d'autres ouvrages égaux à ceux que je cite; il est à croire, que ces productions de nos jours seraient mises à côté de la plus belle antiquité grecque.

Nous avons égalé les anciens dans les [p. 198] médailles. varin fut le premier, qui tira cet art de la médiocrité, sur la fin du régne de louis XIII. c'est maintenant une chose admirable que ces poinçons & ces quarrés, qu'on voit rangés par ordre historique dans l'endroit de la galerie du louvre occupé par les artistes. il y en a pour deux-millions, & dont la pluspart sont des chefs-d'œuvre.

On n'a pas moins réussi dans l'art de graver les pierres précieuses. celui de multiplier les tableaux, de les éterniser par le moien des planches en cuivre, de transmettre facilement à la postérité toutes les représentations de la nature & de l'art, était encor très informe en france avant ce siécle. c'est un des arts des plus agréables & des plus utiles. on le doit aux florentins, qui l'inventérent vers le milieu du quinziéme siécle; & il a été plus loin en france, que dans le lieu même de sa naissance, parce qu'on y a fait un plus grand nombre d'ouvrages en ce genre. les recueils des estampes du roi ont été souvent un des plus magnifiques présens qu'il ait faits aux ambassadeurs. la cizelure en or & en argent, qui dépend du dessein & du goût, a été portée à la plus grande perfection, dont la main de l'homme soit capable.

[p. 199] Après avoir ainsi parcouru tous ces arts, qui contribuent aux délices des particuliers & à la gloire de l'état; ne passons pas sous silence le plus utile de tous les arts, dans lequel les français surpassent toutes les nations du monde: je veux parler de la chirurgie, dont les progrès furent si rapides & si célébres dans ce siécle, qu'on venait à paris des bouts de l'europe, pour toutes les cures & pour toutes les opérations qui demandaient une dextérité non commune. non seulement il n'y avait guères d'excellens chirurgiens qu'en france; mais c'était dans ce seul païs qu'on fabriquait parfaitement les instrumens nécessaires: il en fournissait tous ses voisins; & je tiens du célébre chezelden, le plus grand chirurgien de londres, que ce fut lui qui commença à faire fabriquèr à londres en 1715, les instrumens de son art. la médecine, qui servait à perfectionner la chirurgie, ne s'éleva pas en france au dessus de ce qu'elle était en angleterre, & sous le fameux bœrhave en hollande; mais il arriva à la médecine comme à la philosophie, d'atteindre à la perfection dont elle est capable, en profitant des lumiéres de nos voisins.

Voilà en général un tableau fidéle des [p. 200] progrès de l'esprit humain dans ce siécle, qui commença au tems du cardinal de richelieu & qui finit de nos jours. il sera difficile qu'il soit surpassé; & s'il l'est, il restera le modéle des âges encor plus fortunés, qu'il aura fait naître.

[p. 193] CHAPITRE TRENTIÉME.

Suite des Arts.

A l'égard des arts qui ne dépendent pas uniquement de l'esprit, comme la musique, la peinture, la sculpture, l'architecture; ils n'avaient fait que de faibles progrès en france, avant le tems qu'on nomme le siécle de louis XIV. la musique était au berceau: quelques chansons languissantes, quelques airs de violon, de guitarre & de tuorbe, la pluspart même composés en espagne, étaient tout ce qu'on connaissait. lulli étonna par son goût & par sa science. il fut le premièr en france, qui fit des basses, des milieux [p. 194] & des fugues. on avait d'abord quelque peine à éxécuter ses compositions, qui paraissent aujourd'hui si simples & si aisées. il y a de nos jours mille personnes qui savent la musique, pour une qui la savait du tems de louis XIII; & l'art s'est perfectionné dans cette progression. il n'y a point de grande ville, qui n'ait des concerts publics; & paris même alors n'en avait pas. vingt-quatre violons du roi étaient toute la musique de la france.

Les connaissances, qui appartiennent à la musique & aux arts qui en dépendent, ont fait tant de progrès, que sur la fin du régne de louis XIV, on a inventé l'art de noter la danse; desorte qu'aujourd'hui il est vrai de dire, qu'on danse à livre ouvert.

Nous avions eû de très grands architectes, du tems de la régence de marie de médicis. elle fit élever le palais du luxembourg dans le goût toscan, pour honorer sa patrie, & pour embellir la nôtre. le même desbrosses, dont nous avons le portail de saint-gervais, bâtit le palais de cette reine, qui n'en jouit jamais. il s'en falut beaucoup, que le cardinal de richelieu eût, avec autant de grandeur dans l'esprit, autant de goût qu'elle. le palais cardinal, qui est aujourd'hui le palais roial, en est la preuve. nous conçûmes [p. 195] les plus grandes espérances, quand nous vîmes élever cette belle façade du louvre, que nous voions aujourd'hui offusquée, avec douleur. beaucoup de citoiens ont construit des édifices magnifiques; mais plus recherchés pour l'intérieur, que recommandables par des dehors dans le grand goût; & qui satisfont le luxe des particuliers, encor plus qu'ils n'embellissent la ville.

Colbert, le mécéne de tous les arts, forma une académie d'architecture en 1671. c'est peu d'avoir des vitruves; il faut que les augustes les emploient.

Il faut aussi que les magistrats municipaux soient animés par le zéle, & éclairés par le goût. s'il y avait eû deux ou trois prévôts des marchands comme le président turgot, on ne reprocherait pas à la ville de paris cet hôtel de ville mal construit & mal situé; cette place si petite & si irréguliére, qui n'est célébre que par des gibets & de petits feux de joie; ces ruës étroites dans les quartiers les plus fréquentés; & enfin un reste de barbarie, au milieu de la grandeur & dans le sein de tous les arts.

La peinture commença sous louis XIII, avec le poussin. il ne faut point compter les peintres médiocres, qui l'ont précédé. nous avons eû toûjours depuis lui de [p. 196] grands peintres; non pas dans cette profusion qui fait une des richesses de l'italie; mais sans nous arrétèr à un le sueur qui n'eut d'autre maître que lui-même, à un le brun qui égala les italiens dans le dessein & dans la composition; nous avons eû plus de trente peintres, qui ont laissé des morceaux très dignes de recherche. les étrangers commencent à nous les enlever. j'ai vu chez un grand roi des galeries & des apartemens, qui ne sont ornés que de nos tableaux, dont peut-être nous ne voulions pas connaître assez le mérite. j'ai vu en france refuser douze-mille livres d'un tableau de santerre. il n'y a point dans l'europe de plus vaste ouvrage de peinture, que le plafond de le moine à versailles; & je ne sai s'il y en a de plus beaux.

Nous avons aujourd'hui un peintre, qui chez les étrangers même passe pour le premier de l'europe. non seulement colbert donna à l'académie de peinture la forme qu'elle a aujourd'hui; mais en 1667, il engagea louis XIV à en établir une à rome. on acheta dans cette métropole un palais où loge le directeur. on y envoie les éléves, qui ont remporté des prix à l'académie de paris. ils y sont conduits & entretenus aux frais [p. 197] du roi. ils y dessinent les antiques. ils étudient raphaël & michel-ange. c'est un noble hommage que rendit à rome ancienne & nouvelle le désir de l'imiter; & on n'a pas même cessé de rendre cet hommage, depuis que les immenses collections de tableaux d'italie amassées par le roi & par le duc d'orléans, & les chefs-d'œuvre de sculpture que la france a produits, nous ont mis en état de ne point cherchèr ailleurs des maîtres.

C'est principalement dans la sculpture que nous avons excellé, & dans l'art de jettèr en fonte d'un seul jet des figures équestres colossales.

Si l'on trouvait un jour, sous des ruines, des morceaux tels que les bains d'apollon exposés aux injures de l'air dans les bosquets de versailles, le tombeau du cardinal de richelieu trop peu montré au public dans la chapelle de sorbonne, la statuë équestre de louis XV faite à paris pour décorer bordeaux, le mercure dont louis XV a fait présent au roi de prusse, & tant d'autres ouvrages égaux à ceux que je cite; il est à croire, que ces productions de nos jours seraient mises à côté de la plus belle antiquité grecque.

Nous avons égalé les anciens dans les [p. 198] médailles. varin fut le premier, qui tira cet art de la médiocrité, sur la fin du régne de louis XIII. c'est maintenant une chose admirable que ces poinçons & ces quarrés, qu'on voit rangés par ordre historique dans l'endroit de la galerie du louvre occupé par les artistes. il y en a pour deux-millions, & dont la pluspart sont des chefs-d'œuvre.

On n'a pas moins réussi dans l'art de graver les pierres précieuses. celui de multiplier les tableaux, de les éterniser par le moien des planches en cuivre, de transmettre facilement à la postérité toutes les représentations de la nature & de l'art, était encor très informe en france avant ce siécle. c'est un des arts des plus agréables & des plus utiles. on le doit aux florentins, qui l'inventérent vers le milieu du quinziéme siécle; & il a été plus loin en france, que dans le lieu même de sa naissance, parce qu'on y a fait un plus grand nombre d'ouvrages en ce genre. les recueils des estampes du roi ont été souvent un des plus magnifiques présens qu'il ait faits aux ambassadeurs. la cizelure en or & en argent, qui dépend du dessein & du goût, a été portée à la plus grande perfection, dont la main de l'homme soit capable.

[p. 199] Après avoir ainsi parcouru tous ces arts, qui contribuent aux délices des particuliers & à la gloire de l'état; ne passons pas sous silence le plus utile de tous les arts, dans lequel les français surpassent toutes les nations du monde: je veux parler de la chirurgie, dont les progrès furent si rapides & si célébres dans ce siécle, qu'on venait à paris des bouts de l'europe, pour toutes les cures & pour toutes les opérations qui demandaient une dextérité non commune. non seulement il n'y avait guères d'excellens chirurgiens qu'en france; mais c'était dans ce seul païs qu'on fabriquait parfaitement les instrumens nécessaires: il en fournissait tous ses voisins; & je tiens du célébre chezelden, le plus grand chirurgien de londres, que ce fut lui qui commença à faire fabriquèr à londres en 1715, les instrumens de son art. la médecine, qui servait à perfectionner la chirurgie, ne s'éleva pas en france au dessus de ce qu'elle était en angleterre, & sous le fameux bœrhave en hollande; mais il arriva à la médecine comme à la philosophie, d'atteindre à la perfection dont elle est capable, en profitant des lumiéres de nos voisins.

Voilà en général un tableau fidéle des [p. 200] progrès de l'esprit humain dans ce siécle, qui commença au tems du cardinal de richelieu & qui finit de nos jours. il sera difficile qu'il soit surpassé; & s'il l'est, il restera le modéle des âges encor plus fortunés, qu'il aura fait naître.